lundi 21 avril 2014

Ségolène Royal, relisez Turgot : pour une libéralisation des prix de l'électricité !

FIGAROVOX/CHRONIQUE- Comme chaque semaine dans PhiloVox, Gaspard Koenig éclaire l'actualité à travers des philosophes libéraux. Cette semaine, il invite la nouvelle ministre de l'écologie et de l'énergie à relire Turgot.
Ancien élève de l'Ecole Normale Supérieure, agrégé de philosophie, Gaspard Koenig est Président du think-tankGenerationLibre.

La nouvelle ministre de l'Energie, Ségolène Royal, a récemment relancé l'éternel débat sur les prix réglementés d'EDF, en critiquant la décision de Conseil Etat d'imposer une hausse rétroactive de 5,7%, elle-même due à la limitation abusive des prix par le gouvernement socialiste dès son arrivée au pouvoir. Rappelons que les tarifs d'EDF sont fixés par l'Etat, censé prendre en compte les coûts de production en s'appuyant sur les recommandations de la CRE (Commission de Régulation de l'Energie). Des fournisseurs d'électricité alternatifs (tels que Poweo) ont beau avoir fait leur apparition depuis quelques
années, leur succès est donc limité, puisqu'ils sont, eux, tenus par les prix du marché (supérieurs aux tarifs réglementés). Faut-il donc libéraliser les tarifs EDF pour les particuliers, comme initialement prévu en 2008?
La même question s'était déjà posée il y a plus de deux siècles à propos du commerce des grains, un sujet aussi sensible politiquement que les prix de l'électricité aujourd'hui, puisqu'il avait une incidence directe sur le revenu des paysans et le prix du pain. Les arguments que Turgot avait déployés en faveur de la liberté, en particulier dans sa septième lettre à l'abbé Terray (1770), s'appliquent parfaitement à la situation actuelle.
Turgot défend, dans la lignée des physiocrates, l'idée que le marché est source de justice. C'est d'abord une question de principe: fausser les prix à l'avantage d'un groupe (le consommateur, par exemple) se fait toujours au détriment d'un autre (le producteur), et il faut «apprendre au Gouvernement qu'il n'a pas le droit de violer la propriété». Dans le cas d'EDF, qui paye pour permettre aux ménages de jouir de tarifs parmi les plus bas d'Europe? Le contribuable, régulièrement appelé à la rescousse, et les clients étrangers qu'EDF surfacture.
De plus, des prix libres inciteraient les producteurs à améliorer leurs méthodes («défrichements» dans le cas des grains ; investissements aujourd'hui) tout en garantissant au consommateur régularité et égalité dans les tarifs pratiqués. Ainsi, toute variation des prix ne pourrait intervenir «que lentement et par degrés», le système évoluant autour son équilibre naturel (quel contraste avec les ajustements brutaux des tarifs réglementés!). Tout cela «doit inspirer une grande sécurité sur les effets de la liberté».
Mais l'argument principal de Turgot, qui anticipe le raisonnement d'un Hayek, est celui de la connaissance. «Le négociant le plus habile, avec le plus grand intérêt, a bien de la peine à suivre tous les détails qu'exige le commerce des grains, et l'on voudrait que ces détails fussent suivis par des gens qui n'auraient aucun intérêt à la chose!» Aujourd'hui, une poignée de fonctionnaires ont pour tâche d'examiner les structures de coûts de la production électrique, ce que les milliers d'acteurs anonymes du marché feraient bien plus efficacement. Turgot imagine d'ailleurs que le gouvernement crée un monopole sur les grains: cela reviendrait à «produire, par les moyens les plus compliqués, les plus dispendieux, les plus susceptibles d'abus de toute espèce, précisément ce que le commerce laissé à lui-même doit faire infailliblement à infiniment moins de frais»… avis à la CRE!
Les conséquences politiques qu'en tire Turgot laissent rêveur. Quand le gouvernement s'entête à réglementer les prix, il devient du même coup, aux yeux de l'opinion, le seul responsable de leur variation. C'est un moyen assez sûr de se rendre impopulaire. «Annoncer au peuple que la cherté qu'il éprouve est l'effet des manœuvres et non du dérangement des saisons, lui dire qu'il éprouve la cherté au milieu de l'abondance, c'est autoriser toutes les calomnies passées, présentes et futures contre l'administration. C'est, en même temps, se rendre responsable des chertés qui peuvent continuer ou survenir ; c'est s'engager personnellement à lui procurer l'abondance, quoi qu'il arrive». Etant donné que, selon la CRE, les prix de l'électricité devraient augmenter de 30% d'ici 2017, le gouvernement aurait tout intérêt à ne plus s'en mêler et laisser la vérité des prix s'imposer. Ce qui ne l'empêcherait pas, bien au contraire, de maintenir des tarifs sociaux ciblés pour les ménages les plus fragiles.
Pourfendeur des rentes, des corporations et des impôts excessifs, Turgot était un intellectuel libéral, auteur notamment des très synthétiques Réflexions sur la formation et la distribution des richesses. Quand Louis XVI le nomma contrôleur général des finances, il eut l'occasion de mettre en œuvre ses idées. La libéralisation du commerce des grains coïncida hélas avec les mauvaises récoltes de 1775, qui entraînèrent la «guerre des farines». De même, la libéralisation des tarifs de l'électricité n'irait pas sans heurts. Mais Turgot ne l'avait-il pas anticipé, en écrivant que, si la liberté est un remède assuré, «on n'a pas dit et on n'a pas dû dire qu'elle dût produire cet effet dès les premières années de son établissement et avant que le commerce, qui en est la suite, eût eu le temps de naître et de se former»? En d'autres termes, les meilleures réformes ne produisent leurs effets bénéfiques qu'au bout de quelques années, le temps que s'opèrent les changements de structure. Courage, Ségolène!

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