lundi 1 septembre 2014

La « rébellion » contre Marcel Gauchet est-elle « forcément progressiste »?

Par Lucien SA Oulahbib 

Cette question tente (vainement sans doute) de problématiser une affirmation avancée par deux des actuels accusateurs et pourfendeurs de Marcel Gauchet accusé d'être non seulement "réactionnaire" mais "contre le droit des femmes" adepte de "l'infériorisation" des homosexuels (infra) rien que cela, et ce parce que cet "authentique réactionnaire" avait osé organiser un "débat" (contradictoire) dans la revue "Débat" sur la question au fond de l'homoparentalité, et que, de ce fait, seul, il ne peut présider un colloque sur l'idée de rébellion ; nos deux éminents penseurs ont en effet bondi, refusant non seulement d'y aller mais se fendant d'un "appel" pour le boycotter. Et ce à deux reprises, appelant ainsi le banc et l'arrière banc dans un "appel collectif" (6 août).
Mais rentrons dans le vif du sujet avant de parler de toutes ces péripéties :
Ainsi pour eux, défendre la famille "traditionnelle" serait "réactionnaire" tandis qu'être "rebelle" donc "forcément progressiste" serait de militer pour… la famille "pour tous", lisons-les, interviewés par l'organe de presse idoine (les Inrocks) catalogué sans aucun doute de "rebelle"  :
"
Quelqu’un qui manifeste pour restaurer un ordre familial traditionnel, même s’il affronte la police, n’est pas un rebelle. Un rebelle est forcément progressiste, il met en question un ordre donné pour plus de désordre et plus de liberté. "

Qu'est-ce qu'un "ordre familial traditionnel " ?  Au minima, ni rebelle ni progressiste pour
nos excellents intellectuels et professeurs (au moins). Pourquoi ? C'est ainsi, circulez il n'y a rien à voir. Sinon reconnaissez, avouez que vous êtes "conservateur" donc de "droite". Et si en plus de n'être ni rebelle ni conservateur vous voilà à "affronter la police" dans ce cas la "réaction" gronde (la "restauration" des ligues fascistes de 34 ne sont sans doute pas loin).
Comme si, au fond, être, vivre dans une famille hétéro, seulement, ou, en tant que telle, serait "traditionnel" donc synonyme de "réactionnaire" tandis qu'à l'inverse être homosexuel serait "progressiste", en soi. Cette affirmation, dichotomique, d'une bêtise éprouvante et de surcroît guère originale (voir par exemple  Hugo Marsan in Le Monde du 7/3/97 à propos d'un livre de Henning Bech : When men meet : homosexuality and modernity  dont je démonte l'inanité dans Éthique et épistémologie du nihilisme, 2002, La philosophie cannibale, 2006 ) est non seulement fausse mais absurde et est surtout réfutable par un seul fait, lourd :
pourquoi n'existe-t-il pas de "coming out " d'un homosexuel se déclarant en fait hétérosexuel ? N'est-ce parce que l'on peut aussi naître homosexuel et pas seulement le devenir ? Ce qui fait qu'être homosexuel, en soi, n'aurait rien de rebelle, ou alors Caligula, et nombre de nos rois de France, ont été des rebelles qui s'ignoraient (sans parler de Rohm, S.A et rebelle s'il en est tout de même). Mais nos experts en rébellion n'en ont cure et redouble d'effort sur ce crime de lèse majesté commis par Gauchet considéré comme au fond un militant de la "réaction" :
" C’est un penseur authentiquement réactionnaire, antidémocratique, obsédé par l’ordre traditionnel, qui ne fait l’éloge du peuple qu’à l’occasion de la Manifestation pour tous contre le mariage gay ; mais quand c’est le peuple qui manifeste pour la protection sociale en 1995, il écrit contre. Depuis vingt ans, il participe de tout ce qui défend l’ordre social, politique, sexuel, contre les revendications minoritaires. Le dernier numéro de la revue dirigée par Gauchet, Le Débat, se demande si le mariage pour tous est une “perversion” – c’est le terme employé ; le numéro précédent s’interrogeait sur l’immigration et la crise de l’identité nationale. Nous n’avons pas envie de discuter de cela."
Et encore :
"Mais qu’est-ce qui s’est passé dans le champ intellectuel et politique pour que lorsque quelqu’un attaque les gays et les lesbiennes, les minorités, les chômeurs…, il puisse apparaître comme un débatteur et lorsque l’on affirme, à l’inverse, que ces opinions sont inacceptables, on puisse être désigné comme censeur autoritaire ?"
Et encore :
"Nous nous insurgeons contre cette violence et nous dénonçons la violence discursive exercée sur les dominés et les minorités en général par Gauchet et les cénacles qui tournent autour de lui. Nous nous inscrivons dans un moment de reconquête : la gauche doit se ressaisir de ces thèmes, redéfinir ce qui est acceptable ou pas. Deuxième chose : la mobilisation contre nous vient, avant tout, de la droite et de l’extrême droite".
Puis :
" Si vous dites  : nous ne voulons pas accepter comme interlocuteur quelqu’un qui milite pour l’infériorisation des homosexuels, contre les droits des femmes, contre la lutte antiraciste, contre les luttes sociales, vous êtes perçu comme un stalinien ; alors que si, comme Gauchet, vous vous situez du côté de la réaction, si vous militez contre les droits des minorités, vous êtes perçu comme un démocrate qui participe au débat".
Cerise sur le gâteau :
"Cela démontre que ce qui intéresse Gauchet, ce n’est pas de parler, mais de parler en présence de gens de gauche, en présence d’intellectuels critiques, car sa parole a alors de la valeur. S’il parle en présence d’Alain Finkielkraut, Renaud Camus ou Michèle Tribalat, il n’a pas le sentiment de parler vraiment".
On le lit, que des attaques ad hominem, des contre-vérités, une rhétorique d'excommunication que n'auraient pas en effet renié les totalitaires des années 30 mais aussi des années 50, 60, 70, 2000, 2014…
Il y a plus : en quoi le fait de ne pas être "rebelle" selon leur définition interdirait de présider une rencontre sur cette question ? Au nom de quoi ?…Faut-il donc être cinéaste pour devenir critique de cinéma ? Politicien pour parler de politique ?…
Le propre de la pensée totalitaire est d'affirmer, d'imposer les thèmes et surtout de refuser toute démonstration. Comme les autres, leurs maîtres, naguère (dont j'ai disséqué en long et en large leur prose, défendue aussi à droite, dans un silence assourdissant), citons encore leur "pensée" issue du même interview :
"L’enjeu pour nous, c’est de renommer les choses, de catégoriser, de réinstaurer des fractures dans le champ intellectuel. Or, depuis une dizaine d’années, et la disparition d’auteurs comme Bourdieu, Deleuze ou Derrida qui étaient très attentifs à ces questions, on s’est peu à peu mis à accepter le fait que tout le monde débatte avec tout le monde. Nous nous inscrivons dans leur filiation : nous voulons faire éclater le champ intellectuel tel qu’il fonctionne aujourd’hui, faire advenir un nouveau champ".
Ces deux protagonistes sont en réalité les produits à l'état pratiquement pur des nouvelles factions d'extrême gauche adeptes de l'épuration permanente (à défaut de la révolution du même non), celle d'un monde dégorgé de la contradiction (Deleuze était en effet contre), pas loin de la Gueuse décapitée (la République sans tête). Ils veulent ainsi créer leurs propres espaces, être entre eux, sanctuariser donc encore plus le débat intellectuel, voilà ce que pensent ces si éminents penseurs ; on peut alors comprendre pourquoi du haut de telles hauteurs spirituelles si denses et si arides, ils regardent avec mépris un Marcel Gauchet qui a osé débattre d'une question interdite dont le contenu est incréé, sacré, suc de la rébellion elle-même depuis les années 68, un tel crime ne pouvait resté impuni, bracelet électronique donc pour Marcel Gauchet : boycotté lorsqu'il prétend présider des débats sur la "chose", jusqu'à complète soumission.


Le 31/8/2014

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